Peu à peu le beau désert s’éteint

Après avoir quitté M. Williams nous poursuivîmes notre route au milieu des bois. De temps en temps un petit lac (ce district en est plein) apparaissait comme une nappe d’argent sous le feuillage de la forêt. Il est difficile de se figurer le charme qui environne ces jolis lieux où l’homme n’a point fixé sa demeure et où règnent encore une paix profonde et un silence non interrompu. J’ai parcouru dans les Alpes des solitudes affreuses où la nature se refuse au travail de l’homme, mais où elle déploie jusque dans ses horreurs même une grandeur qui transporte l’âme et la passionne. Ici la solitude n’est pas moins profonde, mais elle ne fait pas naître les mêmes impressions. Les seuls sentiments qu’on éprouve en parcourant ces déserts fleuris où tout, comme dans le Paradis de Milton, est préparé pour recevoir l’homme, c’est une admiration tranquille, une émotion douce et mélancolique, un dégoût vague de la vie civilisée; une sorte d’instinct sauvage qui fait penser avec douleur que bientôt cette délicieuse solitude aura changé de face. Déjà en effet la race blanche s’avance à travers les bois qui l’entourent et, dans peu d’années, l’Européen aura coupé les arbres qui se réfléchissent dans les eaux limpides du lac et forcé les animaux qui peuplent ses rives de se retirer vers de  nouveaux déserts. Pdf Page 27.

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